27 avril 2011

Les trois vies de Laszló Chim. Extrait


J'ai publié l'une de mes premières nouvelles en 2007 dans Mélampous, la revue de l'Asso-ciation française des magistrats de la jeunesse et de la famille (eh oui, rien que ça). Le numéro portait sur la crise des banlieues.

Récemment, j'ai eu la surprise de constater qu'elle avait été mise en ligne
. On ne m'a pas demandé mon avis, mais c'est malgré tout une occasion de te la faire connaître. En voici le début (la suite est à cette adresse).


Tout au long de sa courte vie, Laszló Chim s'était heurté à des murs. Il y avait les murs en bétam de sa chambre, de son appartement, de son immeuble, de sa cité ; et puis ceux qui étaient faits de rien, les murs invisibles qui l'entouraient, contre lesquels il se déchirait le cœur et la peau. Une rage d'animal blessé l'habitait constamment, le poussant à frapper les parois de ses poings nus. Parfois, il cognait si fort que le sang perlait ; il croyait avoir blessé les murs, mais ce n'étaient que ses phalanges écorchées qui rougissaient la pierre.

Il errait aux confins d'un labyrinthe immense, sans âme, sans vie, où les écoles ressemblaient à des usines, et les usines aux prisons. Il voyait souvent des gens qui parvenaient à s'échapper des méandres de la Zone ; elle était percée de tunnels, de galeries, de viaducs. Mais lui n'avait jamais pu emprunter aucune de ces routes, il n'avait pas les bons billets. Chaque fois qu'il avait cru prendre un chemin de traverse, il s'était retrouvé à son point de départ, échoué dans l'un des ces no man's land.

Ce jour-là n'était pas une exception.

Les hauts murs des SSP montaient la garde autour de son corps frêle d'adolescent. La lumière crue d'un vieux néon lui tombait sur les épaules comme une pluie froide. Il attendait maintenant depuis si longtemps qu'il avait perdu la notion du temps. De toute manière, le temps n'existait pas dans le labyrinthe. Les jours ressemblaient aux jours et les nuits se suivaient, identiques. Il en oubliait déjà la raison de sa présence, le pourquoi de ses ecchymoses. Il végétait, assis, observant l'ombre de ses cheveux ras sur le plastacier de la table. Un loquet sonna dans le silence. Il sortit de la solitude abrutissante et se tourna vers l'arrivant.

C'était un homme entre deux âges, moustachu. On voyait qu'il n'appartenait pas aux SSP : il ne portait ni insigne ni uniforme. Il avait ce visage gris des gens qui restent trop longtemps dans la Zone, à respirer l'air vicié des voies couvertes, à ne voir le soleil qu'entre deux tours.

L'homme se posa en face de Laszló, sur la seconde chaise. Il lui lança un regard éteint, vaguement humide.

— Je suis le psologue, dit-il en guise de présentation.

Image : source Wikipedia, planche XII des Prisons de Piranèse.

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